Bruno Lanvin, Insead, "La France a plutôt toujours été une bonne élève pour attirer les talents"
L'INSEAD (Institut Européen d'Administration des Affaires) publie chaque année, depuis 2013, son rapport mesurant l'indice mondial d'attractivité des talents. Conçu pour permettre aux gouvernements, aux entreprises, aux investisseurs et aux individus d'améliorer leur stratégie dans ce domaine d'attractivité des talents, cet indice est réalisé en partenariat avec le Descartes Institute for the Future et le Human Capital Leadership Institute. Bruno Lanvin, directeur exécutif des indices mondiaux à l'INSEAD, nous dévoile les résultats de cette année.
Quel est le principal enseignement à tirer de l'édition 2023 de ce rapport ?
Bruno Lanvin : Les données de cette année nous permettent de constater un certain nombre de phénomènes, mais la relative stabilité des "champions" est la plus évidente : Nous avons identifié très peu de changements par rapport à l'année dernière dans le Top 20 des pays les plus attractifs. Et plus généralement ce groupe-là est resté très stable au cours des dix dernières années.
La France est-elle une bonne élève ?
Bruno Lanvin : La France a plutôt toujours été une bonne élève sur ce sujet-là et cela s'est concrétisé ces dernières années. Elle a, en effet, intégré le groupe des 20 pays les plus attractifs en 2020 et parvient à y rester en figurant cette année à la 19e place. Sur un échantillon de 134 économies, c'est quand même remarquable ! Et avant cela, la France naviguait entre la 20e et la 25e place. Elle a toujours été plutôt attractive.
Qu'est-ce qui a permis à la France d'intégrer le Top 20 ?
Bruno Lanvin : Nous avons commencé à ressentir, à partir de l'année 2020, les effets d'un certain nombre de mesures destinées à booster l'attractivité de la France et sa capacité à retenir ses propres talents. Nous connaissions jusqu'à cette époque un phénomène typique où les diplômés des universités et des grandes écoles françaises qui souhaitaient créer une entreprise ou une startup, allaient le faire aux États-Unis ou dans d'autres marchés que celui de la France. Et à partir de 2020, nous avons commencé à observer un nombre significatif de jeunes entrepreneurs qui avaient acquis une expérience à l'étranger et qui venaient développer leur entreprise en France parce que de meilleures conditions étaient réunies par rapport aux années précédentes. Nous avons également constaté que de plus en plus de jeunes diplômés créent leur première entreprise en France et non plus à l'étranger.
Quelles mesures ont participé à cette évolution de l'attractivité des talents en France ?
Bruno Lanvin : Il y a deux types de mesures. Il y a celles qui sont des mesures d'ensemble, de politique générale, et celles qui concernent les talents eux mêmes. Dans la première catégorie, il s'agit de toutes les mesures d'incitation pour attirer les investissements en France (les mesures fiscales...). Mais également les initiatives politiques qui soutiennent l'innovation. Tout cela a joué un rôle important dans cette quête d'attractivité.
Ensuite, la deuxième catégorie de mesures est plus intrinsèquement liée aux talents. Ces dernières concernent plutôt le système éducatif et l'organisation d'un certain nombre d'universités. De grandes écoles ont récemment prouvé leur capacité à fournir les talents dont l'économie mondiale avait besoin. Et ces talents sont aujourd'hui davantage enclins à rester dans l'Hexagone.
Parallèlement, la création d'incubateurs comme Station F est également à souligner. Ceux-ci ont joué un rôle important non seulement pour fédérer des petites entreprises, mais également pour donner une image de la France en tant que "start-up nation", pour reprendre les mots du président de la République.
Et à l'inverse, sur quels domaines la France peut-elle encore progresser ?
Bruno Lanvin : La France garde toujours son image de pays compliqué. Et ce, du point de vue géographique, culturel et surtout fiscal. La France essaie de simplifier son système fiscal depuis des années mais beaucoup d'investisseurs étrangers ne choisissent pas de s'établir dans ce pays car ils recherchent des taux de fiscalité plus bas. C'est l'un des critères déterminants pour l'attractivité d'une économie, mais c'est loin d'être le plus important. Ce qui est beaucoup plus discriminant, c'est la complexité du système fiscal et surtout le manque de prévisibilité et de visibilité. Et dans ce domaine-là, la France n'est pas très performante. Elle reste trop imprévisible. Cela représente encore un frein au développement de son attractivité.
La Suisse, Singapour et les États-Unis sont les trois pays les plus attractifs cette année. Que font-ils de mieux par rapport à la France ?
Bruno Lanvin : Dans ce classement, les petits pays sont avantagés. Ils ont davantage d'agilité pour développer des politiques d'attractivité. C'est plus inscrit dans leur ADN. Et cela est évidemment davantage primordial pour eux que pour les grosses économies compte-tenu de leur population nationale moins importante. Ils ont grandement besoin d'attirer des talents étrangers. C'est l'une des raisons pour lesquelles la Suisse et Singapour sont les deux pays les plus attractifs du monde. De plus, ces deux économies présentent une véritable flexibilité du système d'éducation. Cela leur permet de s'adapter plus rapidement aux différents besoins du marché. Et lorsque nous observons les performances de ces deux pays, nous nous apercevons qu'ils ont été performants dans tous les domaines que nous avons analysés. Ils sont compétitifs sur tous les tableaux.
Pour les États-Unis, c'était un peu plus fluctuant. Les années Trump (2017-2021) n'ont pas été très glorieuses en termes d'attractivité. Les limitations sur les visas accordés aux étudiants étrangers ont notamment fait plonger la performance des États-Unis. Mais depuis quelques années et le départ de Donald Trump de la Maison Blanche, le pays a retrouvé le haut du classement. Ce grand pays bénéfice de l'immense avantage que représente la qualité de son système universitaire et de ses centres de recherche. Les États-Unis restent à la pointe de ces domaines et cela attire évidemment les talents du monde entier.
Quels sont les critères les plus importants pour l'attractivité d'un pays ?
Bruno Lanvin : Il existe quatre piliers fondamentaux qui déterminent l'attractivité d'une économie. Premièrement, il y a ce que nous appelons l'environnement général qui fait référence au contexte fiscal, règlementaire mais également à la vie quotidienne comme l'accès aux services de santé et à l'éducation. Tout cela compte lorsqu'un pays veut attirer des talents.
Ensuite, il y a trois piliers qui concernent davantage les talents : la production, l'attraction et la rétention. Le pilier de la production représente la capacité de générer les talents dont l'économie a besoin et cela passe par le système éducatif. Celui de l'attraction est l'aptitude des économies à attirer les talents qui ne sont pas présents sur le territoire et dont le pays a besoin pour satisfaire les objectifs d'une stratégie nationale ou tout simplement la stratégie d'une entreprise. Enfin, le pilier de la rétention est la capacité d'un pays à retenir les talents qu'il a attiré ou qu'il a formé. Ce dernier pilier est souvent le plus complexe et représente l'une des principales faiblesses du modèle français. La France parvient davantage à attirer les talents plutôt qu'à les retenir.
Selon vous, à quoi ressemblera cette concurrence d'attractivité des talents dans les dix prochaines années ?
Bruno Lanvin : Si nous devions résumer nos prédictions, il faut principalement garder deux éléments en tête. Le premier, c'est que la compétition pour les talents sera de plus en plus déterminante pour la l'innovation des économies nationales. Les talents vont donc être de plus en plus prisés et les stratégies pour les former, les attirer et les retenir vont être de plus en plus poussées. Ainsi, la tension sur les marchés internationaux des talents va s'accroître.
Le deuxième élément est que nous sommes en train de vivre une modification fondamentale de la nature du travail et de son organisation. Cela s'explique largement par la pression des jeunes générations qui ont des objectifs ne se limitant plus au strict secteur professionnel. Les jeunes travailleurs souhaitent davantage contribuer à l'amélioration de la société (environnement, réduction des inégalités, restauration des liens sociaux...). Les valeurs du pays deviendront ainsi davantage cruciaux pour attirer les talents.
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