Union européenne ou distributeurs : qui sont les vrais responsables de la crise agricole ?
La colère des agriculteurs monte en France. Ces derniers se rapprochent d'ailleurs de jour en jour de la capitale, symbole de la "montée en puissance des manifestations" et du souhait des acteurs du secteur d'interférer davantage dans les décisions publiques. Ce mouvement largement soutenu par la population - entre 8 et 9 Français sur 10, selon les différents sondages, expriment leur sympathie à la mobilisation - n'a toujours pas suscité la moindre réaction publique de la part du chef de l'État.
"Il y a effectivement une urgence à répondre, mais attention à ce que cette urgence ne devienne pas une injonction médiatique. Oui les discussions sont en cours, oui le travail est bien entamé et bien engagé. Les annonces vont arriver dans les jours qui viennent", a assuré la porte-parole du gouvernement, Prisca Thévenot, au sortir du Conseil des ministres du mercredi 24 janvier.
Dans ce contexte particulièrement tendu, il est important de bien comprendre les revendications de cette mobilisation, parmi lesquelles figurent en priorité la remise en cause de l'empilement des normes et des règlementations européennes, ainsi que le sujet de la rémunération du travail agricole : "Nous avons trois messages pour le gouvernement. Nous voulons de la dignité, être compétitifs et vivre de nos revenus. Et surtout, nous n'en pouvons plus du normatif. Au quotidien, il y a de quoi se pendre", synthétise de manière brutale Damien Greffin, président de la FRSEA d'Ile-de-France.
Est-ce vraiment la faute de l'UE ?
Le Green deal (ou pacte vert) européen, lancé en 2020, qui regroupe un ensemble de mesures favorisant la transition écologique des États membres de l'UE, est tout particulièrement dans le viseur des syndicats et des manifestants. Réduction des pesticides, développement de l'agriculture biologique... De nombreuses règlementations que les agriculteurs dénoncent. Selon eux, alors que la tendance française est à la surtransposition des exigences vertes de l'UE, cela nuit à la compétitivité de l'agriculture hexagonale.
En effet, même si la France reste le premier pays producteur européen (devant l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne) avec 95,5 milliards d'euros de productions agricoles, sa place mondiale sur les exportations nettes s'est peu à peu dégradée au cours de la dernière décennie : le pays est passé de la deuxième à la cinquième place mondiale entre 2007 et 2021. Au niveau européen, l'excédent agricole français a été divisé par deux en un peu plus de cinq ans (mais il reste bien présent, contrairement à ce que prétend le député européen Les Républicains François-Xavier Bellamy).
Pire encore : Une note de FranceAgriMer publiée en 2022 précisait "qu'à l'exception des bovins vivants, l'ensemble des secteurs perd des parts de marché sur l'UE, avec des replis parfois conséquents en blé et farine, en sucre et même en vins, jusque-là considérés comme des bastions du secteur agroalimentaire français".
À l'approche des élections européennes (9 juin 2024), de plus en plus de discours anti-Europe illustrés par ce ras-le-bol du monde agricole pullulent dans le débat public du pays. Et pourtant, tandis que plus de 80 % des agriculteurs français bénéficient des subventions européennes notamment prévues la PAC (politique agricole commune), la France est le premier bénéficiaire de subventions agricoles de toute l'Union européenne... et de loin !
Effectivement, selon les chiffres de la Commission européenne, les 400 000 bénéficiaires du secteur agricole bleu blanc rouge se sont partagés 9,45 milliards d'euros en 2022, contre 6,89 milliards pour l'Espagne, 6,33 milliards pour l'Allemagne et 5,63 milliards pour l'Italie. Cela représente une part de 56 % des subventions totales perçues par le pays accordées par l'UE. C'est plus que tout autre État membre.
Les distributeurs également dans le viseur des agriculteurs
En revanche, à la place de s'en prendre à l'Union européenne et aux normes favorisant une agriculture plus verte, certains pointent du doigt les importantes marges que s'accordent les grands distributeurs pour les matières premières agricoles. En effet, en 20 ans, la marge moyenne des grandes surfaces pour un litre de lait par exemple a augmenté de... 188 % ! De même, le prix du chou fleur exercé dans les supermarchés est actuellement dénoncé sur les réseaux sociaux (5,95 euros alors que le producteur ne percevrait que... 70 centimes).
"La direction générale de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) multipliera les contrôles sur les négociations commerciales en cours pour s'assurer de la préservation du revenu des producteurs agricoles. Nous serons intraitables avec les distributeurs qui ne respecteront pas les dispositions de la loi Egalim", a assuré le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, ce samedi lors d'un déplacement à Flavigny, dans la Marne.
Cependant, selon les agriculteurs, cette loi Egalim - dont les trois volets ont été votés entre 2018 et 2023 - qui vise à protéger les revenus des agriculteurs face aux industriels de l'agroalimentaire et à la grande distribution est loin d'être suffisante. Un quatrième volet davantage ambitieux permettrait-il de calmer la colère du monde agricole ? Cela ne semble en tout cas pas figurer dans l'agenda de l'exécutif...
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