Thierry Le Henaf, Arkema
Arkema

Il a fêté cette année ses 60 ans et il dirige depuis 20 ans le groupe de chimie Arkema. Thierry Le Hénaff est, sans conteste, l'homme qui a bâti cette société tout en la transformant en profondeur. Éclairage sur la stratégie d'un groupe qui a su se hisser dans la cour des grands.

Depuis 2004, vous dirigez Arkema et en avez fait un des plus grands groupes mondiaux de chimie de spécialité. Pour autant, vous restez un des grands patrons les plus discrets du CAC 40. Quel a été votre parcours ?

Thierry Le Hénaff, Pdg d'Arkema : Je suis diplômé de l'école polytechnique et de l'école nationale des ponts et chaussées et j'ai étudié aux Etats-Unis, à l'Université de Stanford, pour décrocher un master de management Industriel. J'ai débuté ma carrière comme consultant au sein du cabinet de conseil Peat Marwick Consulting, puis j'ai rejoint Total, en 1992, au sein de Bostik, qui était à l'époque la division " adhésifs " du groupe. Au sein de cette structure, j'ai pu gravir les échelons en occupant des postes de responsabilités opérationnelles tant en France qu'à l'étranger.

En juillet 2001, je deviens Président-directeur général de Bostik, qui entre-temps avait pris une nouvelle dimension, à la suite de la fusion des activités adhésifs de Total-Fina et d'Elf. En janvier 2003, je rejoins le Comité exécutif d'Atofina, filiale de Total qui avait été créée trois ans plus tôt, fruit de la fusion des activités chimie de Total-Fina et de celles d'Elf. Ensuite, j'intègre le Comité directeur de Total en 2004. Peu de temps après, je suis nommé à la tête d'Arkema, entité indépendante, née de la réorganisation des activités chimie de Total. En 2006, Arkema fait son entrée en Bourse.

En plus de ma fonction de président-directeur général d'Arkema, je suis membre référent du Conseil de surveillance du groupe Michelin ainsi que du Conseil d'administration de la Fondation de l'école polytechnique.

La chimie de spécialités reste un secteur méconnu. Pourtant vous développez des produits utilisés dans la vie quotidienne.

Thierry Le Hénaff : Notre groupe emploie 21.100 collaborateurs et nous sommes présents dans 55 pays à travers le monde, pour un chiffre d'affaires d'environ 11 milliards d'euros. Nous sommes organisés en trois grands pôles d'activités : les adhésifs, les matériaux avancés et les coating solutions.

Les adhésifs Bostik sont avant tout des colles (liquides, solides, granulés) et des mastics utilisés dans de nombreux secteurs économiques comme la construction et la rénovation des bâtiments, l'emballage, la reliure, le textile, notamment pour les chaussures de sport, l'électronique, mais aussi dans de nombreux procédés industriels de pointe car nos colles peuvent remplacer des pièces de fixation métalliques.

Les matériaux avancés sont des matériaux de hautes performances comme des films très minces, des poudres, des polymères spéciaux ... qui sont des composants indispensables pour le fonctionnement par exemples des batteries des voitures électriques, des antennes 5G, des téléphones portables, des montres, des semi-conducteurs, des téléviseurs OLED.

Enfin, les coating solutions développent différents types de revêtements comme des résines et des additifs pour peintures, adhésifs, ou pièces en 3D.

Nous avons pour objectif de proposer des produits qui révolutionnent le monde des revêtements, des produits où les substances d'origine fossile sont remplacées par des matières premières d'origine végétale comme le ricin par exemple. Nous concevons des produits plus performants, plus durables comme ces additifs pour peintures qui protègent les habitations des températures élevées, en abaissant la température sous toiture en moyenne de 6°C sans avoir recours à la moindre ventilation.

Ainsi, sans le savoir, quotidiennement, vous êtes amenés à utiliser des produits et des composants " made in Arkema ".

Thierry Le Henaf, Arkema
Arkema

Si nous comparons l'organisation actuelle du groupe avec celle qui existait il y a 20 ans, nous nous apercevons qu'elle a évolué en profondeur. Quelles ont été vos lignes directrices stratégiques tout au long de ces années ?

Thierry Le Hénaff : Depuis deux décennies, nous menons avec nos équipes une politique qui vise avant tout à assurer à notre groupe une croissance sur le long terme et nous avons plutôt bien réussi puisque sur cette période, nous avons plus que doublé le montant de notre chiffre d'affaires qui est passé de 5 milliards d'euros à 11 milliards d'euros.

Il y a 20 ans, Arkema était un acteur avant tout européen, réalisant 60% de son activité sur ce continent. Nous sommes désormais un acteur mondial avec des résultats commerciaux équilibrés autours de 3 grandes régions, l'Europe (33% du CA 2022), l'Amérique du Nord (35%) et l'Asie (28%). En 2004, nous étions un chimiste généraliste avec de nombreuses activités très disparates, nous sommes désormais un chimiste spécialisé.

Cette mutation nous avons pu la réaliser grâce à une stratégie très active et bien ciblée de cessions et d'acquisitions. Nous avons ainsi cédé depuis 2007 des activités pour un montant global de 3 milliards d'euros de chiffres d'affaires. Il s'agissait soit d'activités fortement cycliques, comme le PVC et le polyméthacrylate de méthyle (PMMA), soit non stratégiques, parce que nos parts de marché s'avéraient insuffisantes comme les agents de filtration, les stabilisants à base d'étain, l'agrochimie. Parallèlement, sur la même période, nous avons fait des acquisitions à haute valeur ajoutée de grande qualité pour 5 milliards d'euros de chiffre d'affaires. La dernière en date a été annoncée fin juin, il s'agit du coréen PI Advanced Materials (PIAM). La firme est spécialisée dans les polymères de haute performance utilisés, entre autres, dans l'électronique grand public et dans les batteries des véhicules électriques. Nous avons pris le contrôle de cette société en rachetant 54% de son capital pour un montant de 728 millions d'euros.

La conjoncture économique actuelle qui conjugue inflation et recul de la croissance exacerbe la concurrence. Une concurrence qui rassemble des mastodontes généralistes comme Solvay, BASF, Evonik ou spécialistes comme Sika et IMCD. Dans un tel contexte, demeurez-vous confiant quant à la poursuite de votre stratégie et à la croissance de vos résultats ?

Thierry Le Hénaff : Nous sommes une société solide financièrement et profitable, nous avons affiché en 2022 des bénéfices à hauteur de 1,2 milliard d'euros. En 2020, année marquée par la crise mondiale sanitaire de la covid-19, nos résultats sont restés dans le vert, ce qui démontre bien l'efficacité de notre modèle économique et commercial. Effectivement la conjoncture actuelle n'est pas simple. Nous devons être en capacité d'augmenter nos prix de vente tout en gérant au mieux nos stocks et nos frais fixes. Nous devons faire face actuellement à une baisse de la demande de nos clients qui ont tendance à puiser dans leurs stocks. La situation est certes tendue mais nous arrivons à maintenir le cap et nos objectifs. Cette situation conjoncturelle est temporaire. Nous tablons d'ailleurs sur une légère amélioration des conditions de marché en fin d'année 2023. C'est la raison pour laquelle nous ne baissons pas la garde et menons une politique de gestion rigoureuse. Mais cela ne nous empêchera pas de continuer à investir pour le futur, en interne, grâce à notre R&D et de façon exogène, via des acquisitions ciblées d'entreprises détenant un réel savoir-faire dans des matériaux à haute valeur ajoutée.