La Cour des comptes
Matis Demazeau

POINTS CLÉS

  • Pour répondre à la crise démocratique, la Cour des comptes souhaite redéfinir le rôle des citoyens au sein des institutions
  • 5 % des travaux de la Cour des comptes pourraient faire suite à une consultation citoyenne
  • L'émergence de l'IA nécessite, selon Pierre Moscovici, davantage de transparence de la part des institutions

L'heure est au rajeunissement des institutions ! Pierre Moscovici, ancien ministre de l'Économie et des Finances et Premier président de la Cour des comptes, a présenté, ce mercredi 15 novembre, les résultats du rapport d'initiative citoyenne sur la détection de la fraude fiscale des particuliers. Nous avons profité de cette occasion pour l'interroger sur les deux volets de modernisation pour lesquels la juridiction financière entend accentuer ses efforts.

Tout d'abord, à l'image de l'aspect démocratique que revêt le rapport présenté ce mercredi, la Cour des comptes souhaite redéfinir le rôle des citoyens au sein des institutions : "Aujourd'hui, nous traversons une crise de participation citoyenne, une véritable crise démocratique dans notre pays. Une demande de transparence devient de plus en plus forte chez les Français. Or, la Cour des Comptes, qui émet des avis objectifs et chiffrés, est une institution de confiance dans le pays. Nous ne pouvions donc pas rester à l'écart de cette crise démocratique", nous indique Pierre Moscovici.

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes
Pierre Moscovici (à gauche) présentant, mercredi 15 novembre, le rapport d'initiative citoyenne sur la détection de la fraude des particuliers Matis Demazeau

Depuis 2022, le fonctionnement de l'institution a donc évolué : "Une réflexion profonde sur ce sujet a été faite. C'est la raison pour laquelle j'ai souhaité intégrer cette démarche d'ouverture citoyenne à notre fonctionnement. Notre plateforme citoyenne, lancée il y a près de deux ans, monte en puissance. L'année prochaine, nous ambitionnons d'ouvrir encore davantage de sujets à la participation citoyenne", précise-t-il.

En effet, sur 200 rapports annuels rendus par la Cour des comptes, 10 d'entre eux pourraient bientôt faire suite à une consultation citoyenne (soit 5 % des travaux). Pour le moment, trois rapports de ce type ont été émis avant celui sur la détection de la fraude fiscale des particuliers. Tandis que le premier concernait le recours par l'État aux prestations intellectuelles de cabinets de conseil, le deuxième portait sur le contrôle des soutiens publics aux fédérations de chasseur. Enfin, la politique menée par l'État en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes a été étudiée dans le troisième rapport d'initiative citoyenne.

La participation des Français aux travaux de la Cour des comptes n'est pas le seul effort que l'institution a effectué pour répondre à cette crise démocratique : "Du point de vue de la transparence exigée dans les institutions, tous nos rapports sont rendus publics depuis le 1er janvier 2023. Nous avons aussi adapté la rédaction de nos travaux pour une destination grand public, avec davantage de clarté", poursuit Pierre Moscovici.

Les institutions françaises à l'ère de l'intelligence artificielle

Parallèlement, l'avènement des nouvelles technologies - en particulier celui de l'intelligence artificielle - pousse la Cour des comptes à revoir sa copie : "Nous allons nous-mêmes intensifier notre effort en la matière : D'abord, nous allons mieux intégrer l'intelligence artificielle à nos travaux. Ensuite, nous allons travaillé sur l'IA et davantage examiné ses effets sociaux, sociétaux, économiques et financiers. Cela fera prochainement l'objet de différents rapports", confie Pierre Moscovici auprès d'IBTimes France.

Sur le sujet du jour par exemple, la Cour des comptes note, dans son rapport, que la direction générale des finances publiques (DGFiP) a développé, depuis la dernière décennie, des outils alimentés par l'IA visant à détecter de manière plus efficace les fraudes des particuliers. "L'émergence de l'IA et plus généralement la montée des nouvelles technologies ont révolutionné la manière dont l'administration fiscale contrôle les particuliers. Une plus grande efficacité est permise. Je m'en étais déjà rendu compte de 2012 à 2014, lorsque j'étais ministre de l'Économie et des Finances", affirme le Premier président de la Cour des comptes.

Et les chiffres confirment cette analyse : Le recours au croisement de données en masse permis par l'IA a été à l'origine, en 2022, de 155 000 propositions de contrôles de particuliers, soit trois fois plus qu'en 2018.

Un danger pour la vie privée des Français ?

Mais comme souvent dans le domaine des nouvelles technologies, certaines inquiétudes persistent : "L'opportunité d'efficacité qu'offrent les nouvelles technologies s'accompagne évidemment d'un potentiel danger. Il faut éviter cette logique fantasmatique orwelienne, cette sorte de Big Brother qui porterait atteinte aux libertés fondamentales et à la vie privée des individus. C'est la raison pour laquelle l'un des axes de nos propositions est la transparence. Cela impose donc, dans le domaine de la détection de la fraude, davantage d'explications de la part de l'administration fiscale sur les personnes qu'elle cible et sur la manière dont elle le fait", explique l'ancien ministre de l'Économie.

Selon lui, de nombreuses organisations, à l'instar de la DGFiP, n'ont toujours pas adapté leur façon de procéder à l'apparition de ces nouvelles technologies. "L'approche de transparence n'a pas suivi l'apparition des nouvelles technologies. Il faut que les deux coïncident. La DGFIPP ne peut pas exploiter l'intelligence artificielle en conservant une approche d'un autre siècle", assure-t-il.