L'attaque d'une brasserie française signale la lutte d'influence de la Russie en Afrique
Une nuit de début mars, des incendiaires ont attaqué une brasserie appartenant au géant français des boissons Castel à Bangui, la capitale de la République centrafricaine.
Lançant des bombes à essence, ils ont mis le feu à des caisses de bière empilées à l'intérieur de la cour de stockage fortifiée de la brasserie MOCAF.
Mais ce n'était pas un assaut aléatoire de punaises de feu.
Des images de caméras de sécurité, selon des sources proches de l'incident, montrent une opération planifiée par quatre hommes portant des treillis ressemblant à ceux du groupe de mercenaires russes Wagner.
L'attaque, disent-ils, porte la marque d'une campagne impitoyable visant à éliminer l'influence russe en RCA, un pays pauvre mais regorgeant de forêts précieuses, d'or et de minéraux commerciaux.
La France et la Russie luttent depuis longtemps pour l'influence en RCA, un pays ravagé par la pauvreté et en proie à un conflit civil qui dure depuis près d'une décennie.
Mais jusqu'à cette attaque physique contre les intérêts français, la confrontation s'était largement limitée à des trolls anti-français, cherchant à empoisonner les relations entre la RCA et son ancienne puissance coloniale.
En décembre 2020, Facebook a supprimé les "usines" de trolls et d'autres sources de fausses informations prétendument contrôlées par des entités liées au chef de Wagner Yevgeny Prigozhin, ainsi que des comptes qui seraient liés à l'armée française.
En décembre dernier, la France a retiré ses dernières troupes de RCA.
Il a mis fin à un déploiement qui s'était poursuivi depuis l'indépendance du pays en 1960 et a contribué à le stabiliser après qu'une guerre civile a éclaté selon des lignes sectaires en 2013.
Le retrait est intervenu dans la foulée d'un retrait français de l'État sahélien du Mali après que sa junte a forgé une alliance étroite avec le Kremlin et fait venir des paramilitaires décrits par la France comme des hommes de Wagner.
Mais dans un signe apparent de réchauffement des relations, le président centrafricain Faustin Archange Touadera a rencontré ce mois-ci Emmanuel Macron au Gabon lors du dernier voyage en Afrique du président français.
Cette rencontre a eu lieu quelques jours avant l'attaque de la brasserie Castel dans la nuit du 5 mars.
"Les Russes s'inquiètent d'un possible rapprochement entre Touadera et l'Occident, et vont tout faire pour l'arrêter", a déclaré Roland Marchal, spécialiste de l'Afrique à Sciences Po Paris.
Plus tôt cette année, Castel et la MOCAF, un important employeur local, ont été frappés par des campagnes de diffamation sur les réseaux sociaux et dans la rue.
Castel présentait une cible favorable.
Les procureurs antiterroristes français avaient ouvert une enquête préliminaire pour "complicité de crimes de guerre" sur un accord financier présumé avec des rebelles centrafricains pour sécuriser les sites de production de la raffinerie de sucre de la société SUCAF.
Des pancartes indiquant "Castel = Terrorisme" ou "Si vous achetez Castel, vous payez votre propre meurtre" ont été portées par quelques dizaines de manifestants devant la brasserie à la mi-janvier.
Un cadre supérieur de Castel en France, qui a requis l'anonymat pour discuter des risques de sécurité, a déclaré qu'il y avait eu une tentative d'intrusion avant l'attaque du 5 mars.
"Le 30 janvier, pendant un couvre-feu, trois hommes blancs sont sortis d'une voiture banalisée et se sont approchés (de la brasserie) en portant une échelle avant de s'enfuir à l'approche des agents de sécurité."
"La même nuit, un drone a survolé la brasserie", a déclaré l'exécutif.
La séquence vidéo de l'attentat du 5 mars est devenue virale sur les réseaux sociaux, et a été confirmée à l'AFP par la MOCAF, la filiale locale du groupe français.
Ben Wilson Ngassan, consultant en communication pour le MOCAF, a déclaré qu'"une trentaine" de bombes à essence ont été lancées dans "une opération préméditée, une attaque éclair (qui a duré) cinq minutes, maximum".
Une source européenne bien informée a déclaré que les images portaient des signes clairs que les assaillants étaient Wagner.
Ils avaient "une carrure assez athlétique", avaient un comportement militaire, portaient des treillis militaires - un spectacle familier à Bangui - et avaient des fusils d'assaut Kalachnikov en bandoulière, a indiqué la source.
Les paramilitaires russes sont présents dans le pays depuis 2018, date à laquelle ils ont été amenés pour renforcer l'armée assiégée de la RCA.
Leur nombre a été augmenté par centaines en 2020 pour contrecarrer les rebelles qui avançaient sur la capitale alors qu'une élection présidentielle se déroulait.
Un expert des droits de l'ONU ainsi que des ONG et des capitales occidentales ont accusé les mercenaires de Wagner d'avoir perpétré des crimes contre des civils. Le groupe est également présent au Mali.
Mais la France soupçonne également Touadera d'acheter le soutien de Wagner contre les insurrections rebelles en lui donnant accès aux diamants et aux autres richesses naturelles du pays.
Un diplomate à Bangui a qualifié l'attentat à la bombe de la brasserie de dernière tentative d'intimidation des entreprises occidentales en RCA.
Il est venu alors qu'une bière rivale appelée Africa Ti L'Or est apparue sur les marchés et les bars de Bangui.
La nouvelle marque est brassée par une société appelée la First Industrial Company, détenue par l'attaché culturel russe à Bangui, Dmitry Syty, selon l'hebdomadaire Jeune Africa.
Syty est "l'un des piliers du réseau Wagner en RCA", selon le consortium d'enquête All Eyes on Wagner.
Il aurait été blessé l'année dernière par une lettre piégée, que Prigozhin a imputée à la France – une affirmation que la France a rejetée comme de la "propagande" russe.
Les réseaux sociaux et les médias pro-russes ont attribué l'attaque de la brasserie à des Centrafricains ou à des "mercenaires" déguisés payés par la France pour la faire passer pour un attentat wagnérien.
Le site d'information Ndjoni Sango, fervent partisan de la présence russe dans le pays, a même annoncé l'arrestation de sept "suspects" et attribué l'attaque à l'ethnie peul.
Cette affirmation "est une fausse nouvelle", a déclaré à l'AFP un responsable des forces de sécurité centrafricaines.
Le 9 mars, la police a arrêté huit étrangers, dont quatre ressortissants français, dans un restaurant et un hôtel populaires de Bangui alors qu'ils cherchaient prétendument le "liquide inflammable" utilisé lors de l'attaque de la brasserie.
Tous ont été libérés sans inculpation quelques heures plus tard.
Il n'y a aucun signe de progrès dans l'enquête sur l'attaque de la brasserie.
"Nous examinons tous les documents avant de procéder à toute arrestation", a déclaré mardi à l'AFP le procureur en chef de Bangui, Benoit Narcisse Foukpio.
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