Thierry Breton : le Français qui souffle dans les bronches des Big tech

Le responsable du numérique au sein de l'Union européenne, Thierry Breton, ne mâche pas ses mots lorsqu'il s'agit de pourfendre les Gafam et les big tech.

Qu'il s'agisse d'envoyer des lettres d'avertissement aux dirigeants des plus grandes plateformes mondiales ou de s'affronter sur les réseaux sociaux avec le patron milliardaire de X, Elon Musk, Breton semble profiter de son nouveau statut d'homme de l'UE face aux géants.

Avec sa crinière distinctive poivre et sel et ses yeux encadrés d'épaisses lunettes noires, la star française est en plein essor alors que l'armement juridique puissant de l'UE contre les titans de la technologie entre en vigueur.

Breton, 68 ans, est le commissaire européen au marché intérieur, poste qu'il occupe depuis 2019, et son portefeuille comprend les questions numériques et industrielles.

Il a été sous le feu des projecteurs ces dernières semaines après le lancement des premières enquêtes en vertu d'une nouvelle loi européenne contre X (anciennement Twitter), le propriétaire de Facebook Meta et TikTok, pour diffusion de fausses informations et de discours de haine suite au conflit Hamas-Israël.

Il a également été à l'avant-garde des efforts visant à accroître la production d'armes en Europe après l'invasion de l'Ukraine par la Russie l'année dernière.

Ancien PDG d'entreprises françaises de technologie et de télécommunications, Breton a été le premier grand chef d'entreprise à arriver dans le monde douillet de la Commission européenne, l'organe exécutif de l'UE, et est depuis devenu très calé en prise de parole dans les médias.

Il veut être considéré comme un perturbateur capable de provoquer des changements.

Il donne fréquemment des interviews aux médias et maîtrise l'art de la plaisanterie rapide sur les réseaux sociaux, allant même jusqu'à affronter Musk.

Le succès médiatique de Breton en a dérouté certains, car il n'est pas un orateur aussi éloquent que certains autres hauts responsables de Paris et de Bruxelles.

Il est parfois moqué pour la longueur de ses discours et pour les idées multiples qu'il introduit en même temps et de manière désordonnée.

Mais Breton est dans son élément lorsqu'il évoque les enjeux du numérique et de l'industrie, après avoir dirigé pendant plusieurs années plusieurs grandes entreprises françaises dont France Télécom - aujourd'hui Orange - et Atos.

Ingénieur de formation, le commissaire avait autrefois une plaquette de matériau semi-conducteur à la main alors qu'il se lançait dans une longue explication technique sur les puces électroniques.

Breton, cependant, n'a pas eu un parcours facile vers la commission.

L'ancien ministre français des Finances était en fait le deuxième choix du président français Emmanuel Macron après le scandale entourant son premier.

Il a désormais l'oreille de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.

Les lois historiques de l'UE qui s'attaquent principalement aux géants du Web basés aux États-Unis, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA), constituent l'une des plus grandes réussites de Breton.

Les règles exigeront une meilleure surveillance du contenu en ligne et limiteront le pouvoir de marché des entreprises comme Amazon, Apple, Google, Meta et Microsoft.

"Il est temps de mettre de l'ordre dans le 'Far West' numérique", disait-il en 2022.

L'année dernière, Breton est allé voir Musk au Texas pour lui expliquer les règles qu'il devrait suivre en vertu du DSA. Ils étaient tout sourire dans une vidéo devenue virale. "Nous sommes sur la même longueur d'onde", a déclaré Musk.

Breton, ancien professeur de gouvernance d'entreprise à l'Université Harvard et auteur de plusieurs romans de science-fiction, souhaite une Europe plus souveraine, capable de mieux défendre ses intérêts face aux défis de la Chine et des États-Unis.

Sa pensée s'aligne souvent sur celle du gouvernement français, même s'il insiste fréquemment sur le fait qu'il parle au nom de l'Europe et pas seulement de Paris.

Breton est un personnage rusé qui sait se rendre indispensable

Pendant la pandémie de coronavirus, lorsque les États-Unis et la Grande-Bretagne ont réussi à livrer des vaccins en 2021, l'UE a pris du retard.

Von der Leyen a nommé Breton à la tête d'un groupe de travail chargé de remédier à la situation, et sa connaissance du monde des affaires s'est avérée utile.

Grâce à des visites d'usines et à des dialogues fréquents avec les patrons du secteur pharmaceutique, il a affronté les Américains qui bloquaient des composants clés en menaçant de représailles.

Toutes ces manœuvres et cette attention médiatique ont laissé beaucoup de gens se demander : veut-il le poste le plus élevé à la commission ?

Breton, pour une fois, est timide.

"Toute ma vie, on m'a annoncé mon prochain poste 15 minutes avant", a-t-il déclaré récemment. "Je pourrais envisager une nouvelle mission, si je suis à nouveau un plan B."