Macron contre les syndicats : quel enjeu pour la France ?
Le président français Emmanuel Macron fait face à sa plus grande confrontation avec les syndicats français depuis son arrivée au pouvoir en 2017, avec le résultat d'une série de grèves et de manifestations contre une refonte des retraites considérée comme décisive pour les deux parties.
Alors que les groupes syndicaux cherchent à "immobiliser" le pays mardi, l'AFP examine ce qui est en jeu pour le président, les syndicats et le pays dans son ensemble.
La proposition phare de Macron ferait passer l'âge minimum de la retraite de son niveau actuel de 62 à 64 ans, rapprochant ainsi la France de ses voisins de l'UE, dont la plupart ont repoussé l'âge de la retraite à 65 ans ou plus.
La loi durcit également les conditions d'une retraite à taux plein et supprimerait les privilèges dont bénéficient certains salariés du secteur public, comme ceux du métro parisien.
Après avoir d'abord prétendu qu'il s'agissait de rendre le système plus équitable, le gouvernement souligne maintenant qu'il s'agit d'économies.
"Le statu quo dans les 10 prochaines années signifie 150 milliards d'euros [160 milliards de dollars] de déficits cumulés et une baisse de la qualité de vie des retraités", a déclaré le week-end dernier le ministre du Travail Olivier Dussopt.
Les changements, qui entraîneraient également de petites augmentations pour les pensions les plus basses, devraient entrer en vigueur en septembre.
Les syndicats français ont organisé jusqu'à présent cinq journées distinctes de manifestations, mais mardi les verront passer à la vitesse supérieure, avec une menace de grèves tournantes risquant de se répercuter gravement dans les jours suivants.
Leur principale plainte est que les changements pénalisent les travailleurs non qualifiés qui ont tendance à commencer leur carrière tôt et qui peinent souvent dans des emplois physiquement exigeants, contrairement aux diplômés universitaires.
Ils contestent également l'allégation du gouvernement sur les déficits imminents du système de retraite par répartition, affirmant que de petites augmentations des cotisations pourraient le maintenir solvable.
Les syndicats sont soutenus par le parti politique d'extrême gauche La France insoumise (LFI), qui souhaite abaisser l'âge de la retraite à 60 ans, ainsi que par les socialistes et les Verts.
Le parti d'extrême droite de Marine Le Pen est également contre la refonte, tout en exprimant son malaise face aux tentatives de paralyser la France avec des grèves roulantes.
Une foule d'intellectuels de gauche ont également exprimé leur opposition, notamment l'économiste vedette Thomas Piketty, qui voit dans Macron renforcer sa réputation de "président des riches".
Après avoir tenté en vain de faire passer la réforme des retraites au cours de son premier mandat, Macron est revenu sur la question lors de sa campagne pour sa réélection en avril dernier.
Il a vaincu Le Pen en se présentant sur une autre plate-forme favorable aux entreprises qui promettait de réduire le chômage et de faire " travailler plus " les Français afin de financer le système de sécurité sociale du pays.
Mais les analystes politiques disent que son mandat est faible, et Macron lui-même a reconnu dans son discours de victoire que de nombreuses personnes avaient voté pour lui simplement pour garder Le Pen hors du pouvoir.
Malgré les avertissements des alliés sur le calendrier de la réforme si peu de temps après la pandémie de Covid-19 et au milieu d'une crise du coût de la vie, le joueur de 45 ans a continué.
"Pour Emmanuel Macron, reculer serait une abdication", a déclaré dimanche le sénateur de droite Bruno Retailleau, qui soutient la réforme. "S'il reculait, il ne pourrait plus se réformer, son mandat serait terminé."
Environ les deux tiers des électeurs disent aux sondeurs qu'ils sont contre les changements, et une majorité de personnes soutiennent les grèves.
L'opposition semble être particulièrement forte dans les petites et moyennes villes, où Le Pen tire une grande partie de son soutien.
Les craintes que les changements ne provoquent une résurgence des soi-disant manifestations des "gilets jaunes", un mouvement anti-gouvernemental spontané et parfois violent en 2018, n'ont jusqu'à présent pas été fondées.
Malgré son impopularité, deux personnes sur trois disent croire que la réforme passera, a révélé lundi un sondage du groupe Elabe.
Le gouvernement s'attendait à un parcours difficile - peu de changements majeurs se produisent en France sans protestations.
Pour les gauchistes, toute tentative de réduire les droits des travailleurs - à des horaires de travail courts, à des retraites généreuses ou à des contrats de travail protégés - est considérée comme une attaque contre les réalisations du mouvement ouvrier au cours du siècle dernier.
Les protestations actuelles pourraient finir par dépasser celles de 2010, lorsque le président de droite Nicolas Sarkozy a relevé l'âge de la retraite de 60 à 62 ans.
Ils sont également plus importants que ceux de 1995, lorsque le gouvernement a été contraint à un revirement notoire sur les retraites.
Mais l'impact des arrêts de travail de mardi est différent, avec l'avènement du travail à domicile et des nouvelles technologies réduisant les perturbations.
"Jusqu'à présent, la mobilisation des Français pour manifester ou faire grève a été importante, mais probablement pas suffisante pour avoir un impact macroéconomique significatif", ont écrit lundi les économistes de la banque ING.
La stratégie du gouvernement est claire : précipiter l'adoption de la législation par le Parlement et obtenir un vote favorable d'ici le milieu de ce mois ou d'ici le 26 mars au plus tard.
Même si le parti centriste de Macron n'a pas la majorité à la chambre basse de l'Assemblée nationale, il devrait pouvoir compter sur le parti de droite Les Républicains pour un soutien dans les deux chambres afin d'obtenir les majorités nécessaires.
"Inverser quelque chose comme ça serait extrêmement difficile et improbable", a déclaré lundi à la télévision LCI Jérôme Jaffre, analyste politique à l'institut de recherche Cevipof à Paris.
"Même ceux qui dirigent l'opposition, je ne suis pas sûr qu'ils y croient."
© Copyright 2024 IBTimes FR. All rights reserved.