Macron assure la victoire des retraites mais la morosité s'approfondit en France
Le président Emmanuel Macron semble avoir gagné sa bataille pour faire passer une réforme des retraites largement impopulaire, mais de nombreux experts et historiens pensent qu'il a aggravé la morosité qui entoure la démocratie française.
La Cour constitutionnelle française a approuvé vendredi les éléments essentiels de la réforme des retraites de Macron, ouvrant la voie au chef de l'Etat centriste pour promulguer une hausse de l'âge de la retraite à 64 ans, contre 62 actuellement.
Mais la manière dont la législation a été adoptée – face à l'opposition de deux électeurs sur trois, des syndicats et d'une majorité de députés à l'Assemblée nationale – a consterné même les observateurs auparavant sympathiques.
Pierre Rosanvallon, sociologue et historien très respecté, a lancé début avril un avertissement frappant sur le fait que Macron devait restaurer la légitimité de sa fonction présidentielle aux yeux des électeurs.
"Sans cela, le temps des révolutions pourrait revenir, sinon il y aura une accumulation de désaffection toxique qui ouvrira la voie au populisme d'extrême droite", a déclaré le penseur de centre gauche au journal Libération.
L'historien politique Jean Garrigues a également écrit que c'était " tous nos fondements institutionnels, toutes nos personnalités politiques qui sont discrédités " par la manière dont la réforme a été votée.
"Le lien entre nos concitoyens et leurs représentants nationaux s'est encore étiré dans cette crise, comme ce fut le cas lors des Gilets jaunes", a écrit Garrigues dans le journal Le Monde, faisant référence aux violentes manifestations anti-Macron en 2018.
Les critiques se sont concentrées en particulier sur la façon dont le gouvernement minoritaire du président a fait adopter la législation par le parlement le 16 mars sans vote.
Cette décision – légale mais controversée – est intervenue après que d'autres mesures constitutionnelles ont été utilisées pour limiter au minimum le débat parlementaire, approfondissant le sentiment d'indignation ressenti par les manifestants qui sont descendus dans la rue presque chaque semaine depuis janvier.
Les manifestations parfois violentes ont culminé à 1,28 million de personnes le 7 mars, selon les statistiques officielles, les plus importantes depuis une génération.
"Ce mouvement de protestation laissera une trace dans l'histoire de notre pays, par sa taille et les nouvelles personnes qui s'y sont jointes", a déclaré à la presse le chef du syndicat modéré CFDT, Laurent Berger, alors qu'il défilait - pour la 12e fois depuis Janvier -- jeudi.
Il a répété sa conviction que le pays faisait face à une "crise démocratique".
Dans sa seule interview médiatique sur le sujet des retraites depuis son élection pour un second mandat en avril dernier, Macron a reconnu que lui et son gouvernement n'avaient pas réussi à gagner la bataille de l'opinion publique.
A la question de savoir s'il avait des regrets, il a répondu à la chaîne TF1 : "Si j'en ai, c'est qu'on n'a pas toujours réussi à convaincre de la nécessité de cette réforme, dont je ne me réjouis pas."
Mais il est resté convaincu que c'était "nécessaire" et pour le plus grand bien du pays - pour éviter les déficits des retraites qui devraient atteindre 13,5 milliards d'euros d'ici 2030 et pour aligner le pays sur ses voisins de l'UE.
De plus, il la jugeait légitime étant donné qu'il avait été réélu sur une plate-forme qui incluait la réforme des retraites et l'engagement de faire "travailler plus" la France pour payer l'un des systèmes de protection sociale les plus chers au monde.
Certains alliés l'avaient cependant averti au préalable des risques d'un relèvement de l'âge de la retraite en pleine crise du coût de la vie et si peu de temps après le Covid-19.
S'exprimant en Chine la semaine dernière, il a riposté aux critiques.
" Vous ne pouvez pas appeler cela une crise démocratique lorsqu'un président élu... cherche à mettre en œuvre une politique qui a été proposée démocratiquement ", a-t-il déclaré aux journalistes dans des propos officieux publiés dans les médias français.
"Si les gens voulaient prendre leur retraite à 60 ans, ils n'auraient pas dû m'élire président."
Le discours sur la crise et la révolution intervient alors que s'accumulent les preuves que la confiance dans la démocratie française est en déclin.
Un sondage annuel très suivi publié par l'institut politique Cevipof de l'université de Sciences Po à Paris a montré en février que deux personnes sur trois (64%) pensaient que la démocratie française fonctionnait "mal".
Une proportion encore plus élevée avait des sentiments négatifs à l'égard des politiciens (72 %) et encore plus (82 %) pensaient que les politiciens ne partageaient pas leurs priorités.
La réforme des retraites a également relancé le débat sur la question de savoir si la Constitution actuelle, fondement de la Ve République moderne, est adaptée à son objectif.
Approuvé lors d'une urgence nationale et façonné par le héros de la guerre Charles de Gaulle, il a créé une présidence exécutive dotée de pouvoirs supérieurs à toute autre chancellerie ou cabinet du Premier ministre d'Europe occidentale.
"Cette constitution qui donne des pouvoirs extrêmement brutaux et autoritaires au pouvoir gouvernant s'effondre dans une société qui ne tolère plus les décisions perçues comme trop descendantes", a déclaré le constitutionnaliste Bastian François.
"Ce qui était acceptable dans les années 60, voire dans les années 80, l'est de moins en moins aujourd'hui", explique à l'AFP l'historienne de l'université de la Sorbonne à Paris.
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