Les sanglots longs sous les taux longs
La fameuse inversion des courbes ! Depuis le début de l'année 2022, le resserrement monétaire de la Fed, aux Etats-Unis, a donné lieu à une hausse rapide des taux courts et une hausse plus modérée des taux longs, ce qui s'est traduit par un aplatissement puis une inversion de la courbe des taux (taux plus élevés à court terme qu'à long terme).
"Toutefois, depuis le mois de septembre 2023, les taux longs poursuivent leur progression tandis que les taux courts restent globalement stables", constatent les analyses de Lazard Frères Gestion. Par conséquent, la pente négative de la courbe des taux est désormais moins forte : le taux à 10 ans américain remonte face au taux à 2 ans.
Pour corriger cette anomalie, il faudrait que les marchés anticipent une baisse des taux courts, autrement dit un assouplissement monétaire imminent de la part des banques centrales. Mais actuellement, les marchés n'anticipent pas du tout cette hypothèse. Au contraire, les investisseurs estiment que les banques centrales pourraient maintenir des taux élevés plus longtemps que prévu.
Problème, lorsque les taux courts – essentiellement contrôlés par la banque centrale – dépassent les taux longs, cela signifie qu'il y a peu de demande pour financer des projets à long terme.
Pis, la hausse des taux longs va participer au durcissement des conditions de financement pour les emprunteurs, allant dans le sens d'une entrée en récession des Etats-Unis dans le courant des prochains mois.
Mauvais présage
Depuis la Seconde Guerre mondiale, chaque inversion a été suivie d'une récession dans un délai de 6 à 18 mois. Le compteur s'est enclenché il y a déjà 8 mois, et l'économie de la première puissance mondiale résiste encore.
" Sur les 50 dernières années, une inversion de la courbe des taux a précédé toutes les récessions économiques. En retour, il n'y a jamais eu de récession sans une inversion préalable de la courbe des taux ", explique Philippe Lacoude, consultant et économiste, spécialiste des Etats-Unis.
" En 2023, les Etats-Unis ont évité une récession, tandis que le resserrement de la politique monétaire a commencé à se faire sentir ailleurs, en Europe en particulier. Les consommateurs et les entreprises américains ont entamé l'année avec des bilans solides qui leur ont permis de sereinement faire face à la hausse des taux. En parallèle, le passage d'un soutien à la consommation à des mesures de relance industrielle a permis de préserver l'élan budgétaire " analysent les experts de Neuberger Berman.
Mais les dangers d'une récession restent réels.
Avec prémonition, l'économiste Larry Summers, ancien président de Harvard, secrétaire d'État au Trésor du président Clinton, tire la sonnette d'alarme depuis près de 18 mois.
Même à la Fed, certains chercheurs documentent le lien entre l'inversion de la courbe des taux et les récessions depuis des années. En fait, la branche new-yorkaise de la Fed a un site web qu'elle appelle " la courbe des taux comme indicateur avancé [de l'activité économique] " (The Yield Curve as a Leading Indicator). Leur modèle fondé sur la courbe des taux prévoit environ deux probabilités sur trois d'une récession américaine en 2024. Si même la Fed est au courant !
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