Les géants de la technologie seront confrontés de plein fouet à la nouvelle loi européenne
Les plus grandes entreprises numériques du monde n'auront nulle part où se cacher à partir de vendredi, lorsque les règles européennes les plus strictes en matière de contenu en ligne depuis l'apparition des médias sociaux entreront en vigueur.
Cette loi historique fait partie de l'arsenal juridique de l'Union européenne déployé pour mettre les entreprises technologiques au pas et faire respecter l'ordre dans ce que les responsables ont décrit comme le " Far West " en ligne.
La loi sur les services numériques (DSA) oblige les entreprises à contrôler de manière plus agressive le contenu numérique et à protéger les utilisateurs en ligne contre la désinformation et les discours de haine, sous peine de lourdes amendes.
À partir de vendredi, tous les regards seront tournés vers la manière dont les plateformes se conformeront et sur la manière dont le DSA changera la vie en ligne en Europe, les experts prédisant qu'il pourrait déclencher une vague de changement au-delà du bloc.
"Le DSA s'inscrit dans une stratégie plus large visant à donner plus de pouvoir aux individus, aux régulateurs, à la société civile", a déclaré Suzanne Vergnolle, professeur de droit des technologies au Conservatoire national des arts et métiers de Paris.
"C'est un pas de plus vers plus de responsabilisation", a-t-elle déclaré à l'AFP.
En vertu du DSA, les sites comptant au moins 45 millions d'utilisateurs mensuels actifs doivent obéir à des règles plus strictes, notamment des audits de conformité annuels et le devoir de lutter efficacement contre la désinformation.
En avril, l'UE a nommé 19 sites, dont l'Amazon Store, l'AppStore d'Apple et Play, Maps et Shopping de Google, le détaillant de vêtements Zalando, ainsi que les géants des médias sociaux Instagram, LinkedIn, Pinterest, Snapchat, TikTok, YouTube et Twitter ( désormais rebaptisé X) et les moteurs de recherche de Google et Bing de Microsoft.
Avant même que les règles n'entrent en vigueur, Amazon et Zalando ont déposé des recours en justice, affirmant que leurs plateformes ne répondaient pas aux critères nécessaires pour ne pas être soumises à la première vague de réglementation.
Malgré l'impact potentiel des changements, les utilisateurs individuels ne se réveilleront pas soudainement la semaine prochaine et ne ressentiront pas instantanément les effets du DSA.
"C'est quelque chose pour lequel nous commençons déjà à en voir des traces en termes de plates-formes qui s'efforcent de manière proactive de se conformer", a déclaré John Albert d'AlgorithmWatch, une organisation de recherche et de défense à but non lucratif.
Le plus haut responsable du bloc chargé de faire respecter la réglementation numérique, le commissaire à l'industrie Thierry Breton, a déclaré que les entreprises "avaient désormais suffisamment de temps pour adapter leurs systèmes à leurs nouvelles obligations".
"Mes services et moi-même appliquerons scrupuleusement la DSA et utiliserons pleinement nos nouveaux pouvoirs pour enquêter et sanctionner les plateformes lorsque cela est justifié", a-t-il déclaré à l'AFP.
Cela s'est pleinement manifesté dans les changements annoncés par les entreprises cet été.
Par exemple, Meta et TikTok, propriétaires de Facebook et d'Instagram, ont annoncé en août des mesures qu'ils prendraient pour se conformer, notamment en donnant aux utilisateurs européens plus de contrôle sur la façon dont ils visualisent le contenu, avec la possibilité de refuser les recommandations basées sur le profilage.
L'UE s'intéressera particulièrement à X depuis que le milliardaire Elon Musk a repris la plateforme Twitter l'année dernière, prenant des décisions sur des contenus qui ont suscité des inquiétudes quant à la conformité.
Breton avait déjà averti Musk, qui s'est lancé dans une campagne de réduction des coûts pour la plateforme, que X avait besoin de suffisamment de ressources pour modérer les contenus dangereux.
Google, quant à lui, affirme n'avoir pas attendu que les règles du DSA s'appliquent et a déjà mis en œuvre des politiques visant à plus de transparence et de responsabilité.
La Commission européenne a déclaré que malgré les défis juridiques, les entreprises doivent toujours se conformer.
Les responsables de l'UE affirment que davantage d'entreprises pourraient être ajoutées à la liste.
Enfreindre ces règles pourrait entraîner des amendes pouvant aller jusqu'à six pour cent du chiffre d'affaires mondial d'une entreprise, voire une interdiction.
Pendant ce temps, une autre loi européenne se profile pour les grandes entreprises technologiques.
Le mois prochain, le bloc désignera les entreprises technologiques qui doivent obéir à des règles de concurrence plus strictes en vertu de la nouvelle loi sur les marchés numériques (DMA).
En juillet, Bruxelles a publié une liste d'entreprises considérées comme des "gardiens", parmi lesquelles Amazon, Apple, ByteDance, propriétaire de TikTok, Google, Meta, Microsoft et Samsung.
Un tel statut s'accompagne de règles supplémentaires qui empêchent notamment les entreprises de contrôler quelles applications sont préinstallées sur les téléphones ou de diriger les utilisateurs vers leurs produits.
Une entreprise en violation du DMA risque une amende pouvant aller jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires mondial annuel.
Le DSA et le DMA ne sont pas les premières incursions de l'UE dans la réglementation des activités des entreprises technologiques.
En 2018, la gigantesque loi européenne sur la confidentialité des données, le RGPD, est entrée en vigueur, modifiant radicalement la manière dont les entreprises traitent les données des utilisateurs, avec des amendes pour les entreprises qui enfreignent les règles.
Bruxelles s'empresse également d'adopter une loi qui serait la première au monde à réglementer l'intelligence artificielle.
Le DSA est peut-être limité à l'Europe, mais Vergnolle a déclaré que son impact pourrait se faire sentir au-delà du bloc.
"Je pense que cela aura un effet similaire à celui de Bruxelles, comme c'était le cas auparavant du RGPD, mais cela va prendre des années", a-t-elle déclaré.
Dans la mesure où "les plateformes utiliseront ces outils à l'échelle mondiale, il n'y a aucune raison d'en priver les utilisateurs hors Europe", estime Marc Mosse, avocat senior au cabinet August Debouzy à Paris.
Même pour l'Europe, les nouvelles règles seront probablement suivies d'un examen plus approfondi des régulateurs.
"C'est un long jeu. Nous commençons tout juste et essayons de cartographier quels sont les risques et comment les mesurer", a déclaré Albert.
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