Henri Leconte : "Aujourd'hui, j'ai le devoir de transmettre tout ce que j'ai appris"
Henri Leconte, vainqueur de la Coupe Davis en 1991 et finaliste de Roland-Garros en 1988, a répondu à nos questions à l'occasion de la sortie de son ouvrage Balles neuves, publié aux éditions Marabout, le 11 octobre dernier.
Vous commencez directement le livre en expliquant que vous vouliez l'écrire vous-même, "sans rien devoir à personne". Pourquoi l'écriture de ce livre était-elle importante à vos yeux ?
Henri Leconte : Elle était importante parce que ce livre raconte un vrai parcours de vie, le mien, avec les bons et les mauvais côtés. Je ne voulais rien cacher dans ce livre et j'espérais qu'il soit vraiment authentique ! C'est le vrai livre que je voulais faire, contrairement à mes deux précédents ouvrages qui étaient plutôt quelconques car je ne me connaissais pas encore vraiment à l'époque. Aujourd'hui, j'ai 60 ans : j'ai plus de recul pour analyser le parcours d'une vie. J'ai donc souhaité écrire ce livre avec la collaboration de Bernard Baudouin pour me connaître davantage. L'écriture est souvent synonyme d'analyse de sa propre vie. J'évoque donc ma première vie de sportif de haut niveau. Cette dernière m'a d'ailleurs sauvé car je n'étais pas très bon à l'école mais j'avais une passion qui débordait : le tennis.
Justement, vous évoquez dans le livre ce sentiment d'infériorité que vous ressentiez parce que vous aviez arrêté les études plus tôt que les autres. Comment expliquez-vous cette pression sociale que vous vous imposiez ?
Henri Leconte : C'était une autre époque. Aujourd'hui, si nous sommes un peu en défaillance ou un peu à l'écart, on peut encore s'exprimer sur les réseaux. À l'époque, bien réussir à l'école était quelque chose d'encore plus important qu'aujourd'hui. J'ai commencé à ressentir ce sentiment au début de ma carrière sportive. Il fallait que je m'exprime bien. Cela me tenait à coeur car, lorsque j'étais gamin, on m'a un peu chahuté par rapport à ça. Cette épreuve assez difficile à accepter, qui a été vécue comme un échec, m'a poussé à me lancer pleinement dans le sport et m'a forgé cette détermination nécessaire pour réussir dans le monde du tennis. Je me suis toujours mieux exprimé avec ma raquette ! Les formidables rencontres que j'ai ensuite faites m'ont également permis de surpasser ce sentiment d'infériorité.
Vous êtes parvenu à vous hisser parmi les plus grands joueurs mondiaux. Quelle est la recette du succès, mis à part l'alignement des planètes que vous évoquez à plusieurs reprises dans le livre ?
Henri Leconte : L'alignement des planètes est quelque chose d'exceptionnelle qui doit être provoquée. Il y a énormément de jeunes personnes, notamment dans le milieu sportif, qui travaillent pour faire de leur passion leur métier mais qui n'y parviennent pas parce qu'il n'y a pas cet alignement des planètes. Pour le provoquer, il faut de la passion, de la détermination, de la résilience. Il faut aussi passer par la souffrance pour apprendre à mieux se connaître ou à mieux connaître son corps. Je crois sincèrement que sans la détermination que j'avais, je n'aurais pas réussi. Il ne faut jamais abdiquer ! C'est l'éducation que j'ai reçue de mes parents. Il ne fallait pas se plaindre et ne pas dire que nous avions mal. C'est un peu comme la méthode Coué, on se convainc tout seul que tout va bien. De même, pour inciter l'alignement des planètes, il n'y a pas de secret : c'est le travail ! Pour devenir un champion de tennis, j'ai certainement plus bossé que les autres et j'ai accepté de nombreuses choses : il faut affronter la souffrance. Nous sommes souvent seuls face à nos décisions et il est important d'assumer nos responsabilités.
L'expérience, votre expérience, est le thème principal du livre. Est-ce que c'est ce manque d'expérience qui vous a fait commettre certaines erreurs, comme ce fameux discours après la finale de Roland-Garros en 1988 ?
Henri Leconte : Oui je le pense ! Même si avec du recul, je comprends ce que je voulais dire, ce n'était pas du tout le discours qu'il fallait tenir juste après la finale. J'aurais plutôt dû m'excuser auprès du public et féliciter Mats Wilander, qui était quand même le numéro un mondial. Cela aurait été plus approprié mais j'avais une certaine insouciance et donc une certaine arrogance à l'époque. J'ai souffert durant cette année 1988 et je l'explique bien dans le livre. Cependant, cet épisode m'a fait grandir. Nous apprenons plus lors d'une défaire que lors d'une victoire ! Nous devenons encore plus déterminé pour ne plus revivre ce type de situations. Il faut travailler sur soi-même et je pense que c'est cette épreuve qui m'a ensuite permis de réussir l'exploit de 1991 (victoire en Coupe Davis). Parfois, il faut frôler les abysses avant de revenir, d'une toute autre façon, avec une plus grande expérience et une meilleure analyse de soi. J'insiste sur cette idée mais il est primordiale de bien se connaître.
Comment, dans ces moments de doute, acceptiez-vous les critiques des médias ? Avec du recul, est-ce que vous estimez que vous y accordiez trop d'importance ?
Henri Leconte : Nous y accordons beaucoup d'importance car c'est très violent et ça peut faire très mal. Dans ces moments-là, nous nous refermons généralement sur nous-même car nous nous sentons trahis. J'ai compris une chose dans ma vie : il faut s'accepter tel qu'on est. Ce n'est jamais la faute des autres, il faut être responsable de sa propre vie et prendre les choses en main. Lorsque nous comprenons cela, la progression peut être sans limite.
Et le succès que vous avez connu en 1991 en remportant la Coupe Davis le prouve. Comment redescend-on sur terre après avoir connu de telles réussites ?
Henri Leconte : Pour moi, c'était d'autant plus exceptionnel parce que j'étais un peu comme le phénix qui renaissait de ses cendres. Ce succès m'a permis de faire oublier ma finale ratée de Roland-Garros. Tout d'abord, nous ne comprenons pas l'ampleur que peut revêtir un tel succès. Lorsque nous vivons en autarcie complète pendant un mois avec nos potes sans télévision, sans journal, nous nous rendons compte de l'exploit que nous avons réalisé seulement une fois rentrés chez nous. Et là, l'adrénaline de la compétition nous manque immédiatement. Il faut gérer ce manque et aller de l'avant, en pensant à la suite.
Comment avez-vous vécu votre retraite sportive ou votre "petite mort", comme vous l'écrivez dans votre livre ?
Henri Leconte : J'ai eu la chance d'être immédiatement engagé par France Télévisions lorsque j'ai arrêté ma carrière. Ça a été fantastique car je suis très rapidement passé de l'autre côté de la caméra, en commentant cette fois les matchs. Cela m'a permis de rester dans le feu de l'action et donc de mieux accepter ma "petite mort". Je peux comprendre que cette étape soit plus compliquée pour d'autres sportifs de haut niveau pour lesquels, du jour au lendemain, le téléphone ne sonne plus. Il faut être conscient de cela : à la fin d'une carrière, très souvent, nous passons d'une situation où nous sommes constamment sous le feu des projecteurs à... plus rien ! Ça peut être très violent !
Dans le livre, vous évoquez cette nouvelle société où nous n'avons pas le temps de "souffler". Êtes-vous d'accord avec le fameux adage "c'était mieux avant" ?
Henri Leconte : Non ! Avant, c'était simplement différent. Pendant les années 80, il y avait beaucoup d'insouciance. Aujourd'hui, je le vois avec mes enfants, le monde est différent ! Les nouvelles générations sont nées avec un téléphone portable à la main et avec les réseaux sociaux. Il faut simplement savoir évoluer avec son temps en essayant de comprendre les nouvelles habitudes de la société. D'ailleurs, j'ai 60 ans et j'utilise Instagram, Facebook ou même WhatsApp. Il n'y a que TikTok que je n'ai pas encore installé malgré l'insistance de mes enfants (rire). Nous vivons dans un monde fantastique parce que tout va plus vite et les opportunités sont infinies ! Mais il faut garder les pieds sur terre. Les réseaux ne reflètent pas la vraie vie. Tout le monde pense que c'est facile de gagner de l'argent rapidement. Non, il faut une base, une vraie fondation et évidemment, du travail !
Enfin, vous écrivez vouloir à présent "penser à ce que vous êtes et à ce que vous faîtes pour vous après avoir tant fait pour les autres". Quels sont vos futurs projets personnels ?
Henri Leconte : Pour moi, ce qui est important, c'est de pouvoir partager ce parcours de vie en insistant surtout sur les différentes souffrances que j'ai vécues. Je souhaite également être davantage à l'écoute des autres. Durant ma carrière, j'avais du mal à écouter les gens car je souhaitais être aimé. Je voulais donc tout contrôler, tout gérer par moi-même. J'ai compris qu'il était très important d'être à l'écoute. Aujourd'hui, j'ai le devoir de transmettre tout ce que j'ai appris et d'accompagner des personnes, que ce soit dans le monde du sport ou dans le monde de l'entreprise. C'est pour cette raison que je fais souvent des interventions dans différentes sociétés. Ensuite, je continuerai d'écrire car le livre Balles neuves sera suivi par un autre tome car, selon moi, nous ne pouvons pas raconter toute une vie dans un seul livre.
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